mardi 8 octobre 2019

Priape ne veut pas qu'on pense

Je reçois d’Anonyme cette pétillante boutade :

« Je savais que l’église gnostique avait canonisé Nietzsche, Frédéric II, Alexandre VI, Rabelais, etc. Je trouvais logique que SS ait été ordonné dans cette église. Mais depuis j'ai vu qu'elle avait aussi canonisé Priape et j'ai compris qui était son véritable Saint Patron. »

Comme il est facile, Ami, de se gausser, de loin, du vieil érotomane blanchi sous le harnais… Mais ne vous gênez pas ! Mon front ne sait plus rougir… J’ai raconté, dans tous les sens, mes débordements libidineux – mon perpétuel satyriasis – les frénésies de ma turgescente turbulente jeunesse – mon ahurissante collection de kinks – et je vous dirai, quelque jour, l’origine du surnom « Sans-les-Mains »…

Même le Dictionnaire des Droites Subversives reproduit un texte où je signale que « Michelle Rodriguez fait de ma queue une fonction autonome ». Avouez tout de même. Dans un monde post-Weinstein, je suis une excroissance honteuse. Je fais tache sur l’ère milléniale en poussant un râle de volupté.

(Notez bien : j’aimais mieux quand on qualifiait les gens de mon espèce – si tant est qu’il s’en trouve – d’ « obsédés », de « prédateurs », de « pervers polymorphes »… L’épithète « dalleux » fait penser à « galeux ». C’est très désobligeant.)

Mais baste ! Oui, Priape est un saint de l’Église Gnostique Catholique (fête le 24 mars). Vous êtes-vous seulement demandé pourquoi, Gribouille, avant que de saisir l’occasion de railler la sexualité compulsive de Shumule, c’est-à-dire de vous moquer d’un infirme ?

Vous me répondrez : « Fastoche : l’érection constante du fils de Dionysos (autre saint gnostique) fait de Priape, – comme Pan (autre saint gnostique) et Khem (autre saint gnostique), – une heureuse personnification du culte phallique, dont Richard Payne Knight (autre saint gnostique) a démontré qu’il est à l’origine de tous les cultes : il fallait bien que les Crowleyens eussent leur propre version du Frey nordique, des Tikis tahitiens, des Kamis japonais protecteurs des carrefours… »

Le pire, c’est que vous n’aurez pas tout à fait tort, en plus...

J’ai moi-même écrit :

« Sir Richard Payne Knight a démontré jadis que toutes les religions du monde procèdent d’un culte phallique initial, qui n’a, dans son principe, rien d’agraire, ni de freudien – En voici la raison : les Initiés classent les conditions indispensables à l’existence humaine selon la traditionnelle nomenclature élémentaire – l’Esprit (i.e. la fusion des opposés, c'est-à-dire l’union sexuelle), la Terre (l’incarnation), l’Air (la respiration), l’Eau (question de survie immédiate) et le Feu (l’énergie contenue dans les divers types d’aliments). Tout cela est très logique. Mais, si le sexe est, évidemment, la condition première à l’existence, alors la toute première condition à l'existence est l’érection : la condition indispensable à la condition indispensable à la survie de l’espèce est que l’homme bande : au commencement était la gaule. (On pourrait aisément en conclure à la phallocratie et au patriarcat, s'il ne fallait que quelqu'un suscitât la gaule en question – devons-nous en déduire qu'« au commencement était Michelle Rodriguez » ??? – mais je digresse.) Voilà pourquoi la seule constante absolue, dans les religions naturelles, est la vénération du phallus érigé, qui – des obélisques égyptiens aux menhirs celtes, en passant par les lingams de l’Inde – ne consiste pas à déifier les organes génitaux, mais à représenter l’origine des choses, i.e. le Divin, sous sa forme la plus primordiale – donc sa forme la plus pure – donc sa forme suprême. Par adaptation, les gens du peuple ont, partout et toujours, regardé le symbole ithyphallique comme le grand signe bénéfique – celui qui éloigne le malheur. Et, de même que les Italiens portent une corne priapique autour du cou pour chasser le mauvais œil, les Wotanistes portent le marteau de Thór (talisman dont chacun aura remarqué qu’on peut y voir autre chose qu’un marteau), afin de conjurer les forces hostiles à l’harmonie du monde. »
Destination Ragnarök (2011).

En fait, la clé de la canonisation du dieu des Jardins se trouve dans le fameux proverbe : Priape ne veut pas qu’on pense.

Au sens littéral, cet adage fait évidemment référence au principe par nous résumé ainsi : « l'homme qui ratiocine ne peut ni bander, ni rire, ni invoquer : déportez les intellectuels ! »

Mais on peut aller plus à fond encore, en prenant la chose à l’envers :

Il est écrit dans nos Livres Saints : < thought is evil : la pensée, c’est le mal > (LLL 1, 32). Or, la moindre cagole de village n’ignore pas que l’homme qui bande ne pense plus. En ce sens, la pulsion érotique est comme le yoga : un moyen de mettre fin à l’oscillation mentale.

D’où les kinks, dont nous parlions : s’il va hormonalement de soi qu’un homme est stimulé par le passage d’une « blonde à forte poitrine », il advient – thème admirablement traité par Barbey d’Aurevilly dans son farabuleux chef-d’œuvre Une Vieille Maîtresse – que des morphotypes improbables nous embrasent, nous obsèdent, révélant ce que les Anciens Chants des Sages du Nord appellent « la haine de Loki pour Heimdall » : libido (Heimdall, qui fonde le peuple blanc par inadvertance via des dérapages adultérins dus à sa nature de queutard insatiable, représente, évidemment, l’instinct de continuation de l’espèce) et activité mentale (spécialité de Loki) sont inconciliables : c’est pourquoi Heimdall et Loki s’entretuent à Ragnarök : il leur est impossible de coexister.

(Je me souviens, par ex, de la première fois que j’ai vu un portrait de la culturiste Nathalie Foreau : mon cerveau me disait « cette femme n’en est plus une, elle est absolument difforme » pendant que ma queue me disait « je suis une batte de base-ball louisville-slugger de 42 pouces en alliage. »)

La Magie enseigne : toute peur cache un désir, tout désir est l’érotisation d’une peur (= Heimdall le Chaud Lapin et Loki l’Inverti se chamaillent devant Bifröst). Il est bien connu que les déviants sexuels internés d’office sont des gens dont les fixations consistent en des « éblouissements » volontaires, au moyen de fantasmes (« tournoyants comme la ronde des lutins un 2-août ») qui symbolisent leurs traumas et ont pour fonction d’empêcher que ceux-ci remontent, sous leur forme originale, à la conscience : histoire éternelle de l’enfant choqué par l’apparente cruauté de l’existence et qui devient sadique ; de l’enfant battu qui devient masochiste ; de l’écolier bullied par les rustauds du coin qui devient gay passif pour homo-macho en tenue de motards : il s’agit non seulement de rendre le souvenir tolérable, mais de le rendre jouissif.)

Vous me direz : qu’y a-t-il, grands dieux ! de saint dans ce bestiaire ?!

J’y arrive. Au-delà de l’aspect psycho-affectif, la Qabale attribue la Sphère de Yesod (= les parties génitales de l’homme + son subconscient) à la Lune, c’est-à-dire à l’affolante et fantomatique réflexion, au cœur des ténèbres, de la lumière du Soleil (Sphère de Tipheret = le cœur de l’homme + sa conscience), qui, elle-même, est la contraction de la Lumière divine infinie (Sphère de Kether = la fontanelle de l’homme + sa supraconscience) : en clair, la libido d’un homme révèle son ipséité, donc sa divinité, sous un masque. Or c’est comme dans le théâtre Nō : plus la divinité est puissante, plus le masque est impressionnant. D’où, axiome : à gens exceptionnels, mœurs exceptionnels, qui me fit écrire jadis :

« Moi, j’admets tout… La scatophilie de Jean-Paul Belmondo, la zoophilie de Jeanne Moreau, Proust ne pouvant jouir qu’au spectacle de rats s’entredévorant… le nombre invraisemblable de fois que Maurice Chevalier dut se rendre aux urgences pour se faire extraire une bouteille de champagne du rectum… les diamants qu’Arthur Meyer, fondateur du Gaulois, glissait dans le sien, avant de les y faire chercher par sa maîtresse, la comédienne Alice Regnault… Max Jacob se faisant défoncer, de grand matin, par les forts des Halles, avant d’aller dire son chapelet sur les marches de la basilique du Sacré-Cœur… Victor Hugo arrêté pour exhibitionnisme au bois de Boulogne, et ayant, à l’égard de sa petite-fille, plus d’attachement qu’il n’appartient à un grand-père… tout cela est fantastique, parce que c’est la Vie qui pulvérise l’image d’Épinal ou le sitcom américain, c’est-à-dire l’Idole… Voilà le Humor of the Gods, qui est le véritable Hammer of the Gods. » – Butt (2014)

Et voilà pourquoi Priape est un saint.

Maître Therion dit : < L’acte d’amour, même s’il est, dans sa forme, avec un cheval, comme Caligula, avec une foule, comme Messaline, avec un géant, comme Héliogabale, avec une grenouille, comme Néron, avec un monstre, comme Baudelaire – même si, avec Sade, il tire son excitation du sang ; avec Sacher-Masoch, du fouet et de la fourrure ; avec Yvette Guibert, d’un gant ; ou s’il est fou des nouveau-nés, comme E.T. Reads dans Punch ; si l’on s’aime soi-même au point de dédaigner tous les autres, comme Narcisse ; si l’on s’offre sans amour à l’amour de tous, comme Catherine ; si l’on trouve le corps si vain que l’on enferme son désir dans son âme, faisant de sa vie, en imagination, une spinthéropie incessante, comme Aubrey Beardsley – peu importe le moyen. Bach a sa manière, Keats la sienne, Goya la sienne. La fin est tout : que, par l’acte, quel qu’il soit, l’on adore, aime, possède et devienne NUIT. > (New Comment on AL 1, 52).

Amen. L’occasion de conclure par cette pieuse éjaculation, dont nous espérons qu’elle touche Anonyme : < O gloire de Priape ! O béatitude de la Grande Déesse ! > (Cordis 4, 24).




Bénédictions endiablées.

- Sir Shumule, ☉︎ in 14° ♎︎ : ☽︎ in 14° ♒︎ : ♂︎ : Ⅴⅴ.

Illustration : ATU XI par Milo Manara