Le cher,
le prestigieux, l’inénarrable Fix profite de ce qu’Estel fait du
shopping avec Tia pour me passer du Bauhaus – le groupe new-wave,
s’entend, pas l’institut bavarois. Ma bien-aimée a, en effet, proscrit,
le temps de sa grossesse, toute musique susceptible d’émettre une
quelconque « vibration négative ». Exit
Joy Division, mais aussi Janis Joplin, et même Chopin, jugé « trop
triste » – le mode mineur, en général, semble à Estel vaguement porteur
de futurs complexes pour le petit. Je la comprends. On peut aimer Goethe
sans tenir à mettre un Werther au monde.
Nous écoutons donc Bauhaus dans son dos – et voyez comme c’est seulement l’idée qu’on s’en fait ! Pour l’homme du commun, Bela Lugosi’s Dead
est un morceau lugubre, que s’infligent, en privé, les tâchons
boutonneux qui font banquette à ton anniv’ et qui, juste parce qu’ils ne
savent pas danser, critiquent la déco, la musique et les filles – bref,
un truc de grands coincés devenus dark par inhibition. Eh bien !
pas pour moi ! Dès que j’entends cet air, je revois Catherine Deneuve
dans la scène d’ouverture des Prédateurs de Tony Scott, dont il constitue le fond sonore. Résultat : je bande monstrueusement, et je suis heureux. Pour moi, Bela Lugosi’s Dead est une chanson sexy.
(Ça me rappelle : j’ai passé, dans le temps, une nuit d’ivresse avec un authentique descendant de Bela Lugosi. Cet homme rubicond est, à ce jour, le seul qui ait montré une résistance bachique supérieure à la mienne. Je vous raconterai ça à l’occasion.)
(Ça me rappelle : j’ai passé, dans le temps, une nuit d’ivresse avec un authentique descendant de Bela Lugosi. Cet homme rubicond est, à ce jour, le seul qui ait montré une résistance bachique supérieure à la mienne. Je vous raconterai ça à l’occasion.)
L’indomptable, le preux,
l’immarcescible Fix, mû par un autre genre d’association d’idées, se
hâte de splitter des lignes sur la table basse, et je réalise tout à
coup que je n’ai pas pris la moindre cocaïne depuis mon retour de Suisse
! Mieux : que l’idée d’en prendre
ne m’a pas effleuré ! Voilà, me semble-t-il, un cas assez curieux, ô
addictologues et autres tire-au-flanc ! Moi qui vis le nez sur le rail
depuis le lycée, je n’ai pas éprouvé le moindre manque, la moindre gêne,
en un mois et neuf jours durant lesquels je ne me suis même pas rendu compte que je ne prenais rien !
Au temps pour l’ « enfer des drôgues », losers !
La vérité, c’est que certains hommes sont compulsifs, et d’autres non. Il n’y a, grâce à DIEU, pas d’homme normal.
La Nature ne connait pas de moyen terme. Regardez-moi : j’ai une
constitution surnaturelle. C’est génétique. Je peux abuser de tout, sans
pâtir – ni dépendre – de quoi que ce soit. Un compulsif, en revanche,
n’a même pas besoin de drogues : tout
lui est bon pour se créer des accoutumances : il ne dort que sous stillnox, n’est heureux que sous xanax, tuerait sa mère pour un paquet
de clopes : manger le rend boulimique, boire le rend alcoolique et jouer
le rend « compulsif du jeu » ! S’il ne trouve rien dont devenir
l’esclave, il développe des phobies !…
Aichmophobie (peur morbide des objets pointus), anuptaphobie (peur morbide de rester célibataire), apopathodiaphulatophobie (peur morbide de la constipation), hexakosioihexekontahexaphobie (peur morbide du nombre 666), hippopotomonstrosequippedaliophobie (peur morbide des longs mots - le sujet ne peut donc même pas affronter la seule lecture du nom de sa maladie), katagélophobie (peur morbide du ridicule), phobophobie (peur morbide d'avoir peur), suiphobie (peur morbide de soi-même), teratophobie (peur morbide des monstres), etc, etc,
etc. Inouï le business que peuvent faire nos médicastres en décourageant
les pas-finis de surmonter leurs trouilles !
A titre personnel, je ne comprends pas
l’interdiction de quelque substance que ce soit, parce que je ne
comprends pas que l’on protège le faible du résultat de sa faiblesse.
C’est absolument contraire à la loi naturelle. Pourquoi l’Etat
devrait-il préserver l’ivrogne, le fumeur, le flambeur, le glouton, des
suites de ses manies, et par conséquent, édicter des lois qui privent
les hommes sains des divers plaisirs de l’existence ? Pourquoi le
bien-portant devrait-il être puni pour les défauts du taré ? A quoi bon
contraindre celui-ci à vivre, d’ailleurs ? Quel intérêt peut avoir, pour
le monde, quelqu’un qu’il faut sans arrêt protéger de ce qu’il boit, de
ce qu’il mange, de ce qu’il fume – et même des boutiques sur son
chemin, qui menacent de le transformer en « acheteur compulsif » ?
Qu’il picole, qu’il bouffe, qu’il dilapide ses avoirs et qu’il se pende ! Bon débarras !
Les compulsions sont causées par
l’effroyable misère que la moindre tentative d’introspection révèle aux
âmes serviles à leur propre sujet. Fondamentalement, c’est une attitude
chrétienne : la « conscience du péché »,
c’est-à-dire le mépris de soi, hante ces détestables parodies
d’humanités, dont la définition de l’enfer est de se trouver seules avec
elles-mêmes. La vérité leur est physiquement insupportable. Dés lors, tout leur tient lieu d’anesthésique.
Un être vraiment libre peut prendre de
la cocaïne aussi simplement que des sels. Il n’y a, du reste, pas de
meilleure façon de tester l’âme d’un homme que de considérer sa réaction
aux drogues. S’il est simple, viril et sans peur, tout ira bien pour
lui : il ne deviendra jamais esclave. S’il a peur, il est déjà
esclave. Que tout le monde prenne de l’opium, du haschich, et compagnie
: ceux qui risquent d’en abuser seront aussi bien morts.
[...]
[...]
On me dira encore : « Que tout le monde prenne de l’opium et du haschich, est-ce là le conseil que vous donnerez à votre fils ? » (J’ai noté que les gens sans enfants
étaient les plus prompts à avoir ce type de réactions puritaines – le
clergé catholique est champion du monde en la matière, sans réaliser
qu’un opiomane père de famille a infiniment de valeur pour le monde, au
lieu qu’un curé voué au célibat n’en a strictement aucune.)
L’éducation est insoluble. Quoi que
vous fassiez, on vous désapprouvera : les parents qui entourent leurs
enfants sont « sans arrêt sur leur dos », les parents qui travaillent
sont « absents » – si je parle de drogues à ma progéniture, c’est une
erreur qui risque de lui donner l’envie d’en prendre ; si je ne lui en
parle pas, je l’abandonne à la merci des dealers.
Donc, je m’en tiendrai aux fondamentaux – avec un peu de Chopin, quand même, de temps en temps, quoi qu’en dise sa mère.
Sir Shumule, 19 juillet 2010
Sir Shumule, 19 juillet 2010