School Days


À Blaise Pascal et Janson de Sailly

« Heureux, trois fois heureux jours de l'ardente jeunesse ! » — Edward Sellon

C’était comment l’ignorer ? la rentrée des classes il y a quelques jours… Heureux jeunes gens qui venez de retrouver les cours et pour qui l’école est encore une réalité quotidienne !... Profitez-en pour faire une belle provision de souvenirs !… La vie est longue…

Je gambadais la semaine dernière du côté de ma chère vieille École Pascal et du vénérable Janson. (Je gambade souvent. J’aime gambader. Dès que j’ai un peu de temps à moi, je gambade. En fait, cette manie m’a fait réformer.) A la vue de mon collège et de mon lycée se remplissant d’élèves, quelque chose comme une bouffée de nostalgie a gonflé mon cœur trentenaire… Que c’est loin tout ça !... Et quels airs contristés ont nos présents potaches !... Il semble bien que la jeunesse de 2009 considère la scolarité, soit comme un genre de pré-kolkhoze, soit comme la salle d’attente du monde intelligent… et qu’elle n’ait pas tout à fait tort, en plus…

De mon temps, comme disent encore parfois certains vieillards hors-d’âge du fond de nos provinces, c’était très différent…

Il faut bien comprendre qu’au sortir d’une instruction primaire dispensée par une valse de précepteurs verdâtres, mon entrée en sixième me donna la sensation que procure généralement la fin d’une séance chez le dentiste. Il m’a fallu attendre ma première soirée aux Bains pour éprouver un rush d’endorphines comparable et ma scolarisation devint parfaitement agréable dès que j’en eus banni les formalités les plus ennuyeuses, à savoir les devoirs à faire et les règlements à respecter… Grands dieux ! J’ai beau avoir fait Sciences Po depuis, il m’arrive encore d’être étonné que ce soit mercredi sans que je doive aller en colle… Le collège (que je soupçonnais fort d’avoir cette étymologie) m’a, en tout cas appris un certain nombre de choses :

1. Travailler avec méthode.
C’est avec des soins d’enlumineur que je rendais mon plateau de réfectoire infâme pour embêter les agents de service Je commençais toujours par fabriquer la bombe traditionnelle (Emplissez votre verre à ras-bord, couvrez le de votre plateau, préalablement vidé, puis retournez le tout Si l’opération est correctement exécutée, le verre semble avoir été retourné vide, et l’absence d’air entraînera le plateau à sa suite, lorsque l’humble employé tirera dessus le dit-plateau ne tardera pas à dégringoler, l’eau contenue dans le verre explosant alors et inondant le malheureux agent de bien jubilatoire façon) ; après quoi, j’enduisais la bordure du plateau de Kiri, de sorte qu’on ne pût le saisir sans désagrément ; et je terminais par orner le tout d’un hommage personnel, quoi qu’un peu trash, à Arcimboldo…

2. Refuser la facilité.
Je décidai un jour de faire, sur toute l’étendue de la pelouse, une plantation de couteaux de cantine en quinconces parfaits, suffisamment enfoncés pour être indécelables de prime abord, mais dépassant assez pour faire sauter une lame de tondeuse à gazon… Je me servis à cet effet de la Doc Martens d’un ami rock’n’roll dont je ne saurais trop louer la parfaite complaisance ce jour-là… Nous assistâmes peu après au spectacle réjouissant de notre minuscule agent d’entretien tondant cinq secondes… proférant un court blasphème lorsque sa lame se défaussait… réparant péniblement son engin… retondant cinq secondes… reproférant un court blasphème lorsque sa lame etc… Sans parler des quarante-huit heures de travail acharné qu’il fallut au pauvre homme, une fois mon stratagème percé à jour, pour déraciner mes couteaux…

3. Prétendre à l’excellence.
En hiver, je ne faisais qu’une boule de neige entre midi et deux heures, que je commençais en sortant du réfectoire et passais toute la récréation à tasser Vers deux heures moins cinq, elle avait tout naturellement acquis la consistance d’une pétanque standard : je priais alors mes condisciples de bien vouloir s’emparer du souffre-douleur officiel de la classe, qu’ils tenaient au fond du préau, pendant que j’exécutais sur sa personne un strike à bout portant C’était l’usage Le sort voulut, hélas, que je dégrippasse un jour, et que mon chef d’œuvre, lancé avec une extrême violence, allât très vite et très haut, pulvériser les vitres de monsieur P., notre censeur… L’instant d’après nous contemplions le faciès empourpré du digne magistère, sortir lentement, telle une lointaine tomate, par son carreau brisé, scrutant la cour à la recherche de son profanateur… Merveilleuse scène, au plan pictural…

4. Rester actif.
Nous avions un professeur de Sciences Physiques officiellement affilié au Parti Communiste Dans ma jeune conscience, un communiste équivalait à un phénomène de foire, comme les enfants siamois ou les femmes à barbe (du reste, tous les communistes avouent aujourd’hui appartenir à l’une ou l’autre de ces deux catégories) Or, celui-ci ne m’aidait pas à inverser la tendance : monsieur B était nain, hideux, sale et commençait toutes ses phrases par « à la base ». Un jour que j’arrivais en retard à son cour (et je ne me souviens pas d'y être jamais arrivé à l’heure), je le désignai depuis la porte à mes camarades, en disant d’un ton d'enseignant : « Ici, le dernier communiste… l’ultime fossile, le rescapé d’une race fétide bientôt aussi éteinte que la variole… » Fou de rage, il se jeta sur moi, tel Elie Seimoun voulant rosser Dolph Lungren… Je m’enfuis en courant et l’entrainai, soufflant à ma suite et toujours furibond, vers un parterre de sapinettes, au travers duquel je le fis longtemps slalomer, décrire des courbes, des figures, des grands huit, à l’immense allégresse de tous mes camarades, amassés aux fenêtres et jusqu’à l’intervention de notre austère censeur qui, ayant assisté à la petite scène depuis son bureau, nous pria respectivement, monsieur B (en nage) de cesser de se donner en spectacle, et moi (en larmes) d’arrêter de rire…

5. Savoir s’équiper.
Je me présentai un jour à une interro monstre de géographie équipé d’une cassette sur laquelle j’avais enregistré tout mon cour. Je la mis dans un magnétophone, dissimulé dans mon casier, auquel je raccordai un écouteur que je glissai sous ma chemise et par ma manche, jusqu’à mon oreille gauche En position dite du bouddha mourant (tête nonchalamment appuyée sur la main), je comptais écrire sous la dictée. Las ! J’avais mal insérée la fiche dans l’appareil et, au cœur du sépulcral silence de la classe en train de composer, retentit brusquement ma voix annonçant : « Grand I, le Relief… »

6. Privilégier l’essentiel.
Mais, bien sûr, toutes ces facéties sont les à-côtés, les délassements de la vie de collégien, dont l’activité essentielle reste, quand même, la masturbation.
Telle est l’inconséquence humaine, que toutes mes frasques passaient, auprès des autres élèves, presque inaperçues comparées à ce qui me valait réellement ma popularité : les dimensions chevalines de mes attributs virils et ma propension à les exhiber sans cesse pour en assouvir l’insatiable lubricité Personnellement, je ne me rappelle pas avoir eu d’autre activité suivie que l’onanisme, de mon entrée au collège jusqu’au BEPC mais cela n’a pas été sans épreuves Ainsi, un jour que, durant un cour de Français, j’avais oublié jusqu’à l’existence de notre professeur (une pétrifiante brune à chignon, avec des lunettes et un nez pointu), occupé que j’étais à tenter d’apaiser mes furieuses ardeurs derrière mon pupitre, je la vis soudain debout devant moi, telle la statue du Commandeur elle me fusilla du regard, disant d’un ton sec (et ces paroles firent d’elle la superstar de l’établissement ) : « Allez… Range ça… » Une autre fois, j’avais, en cour d’Anglais, sorti ma turgescente nature, à un stade effrayant de priapisme, dans l’espoir de la faire admirer à ma voisine de devant - L’alarme à incendie se mit à retentir à l’instant où j’allais lui tapoter l’épaule Ce n’était qu’un exercice d’alerte au feu, mais j’étais jeune, la panique s’empara de moi, et, persuadé que les flammes menaçaient réellement, je voulus bondir jusqu’à la sortie Malheureusement, j’avais commis l’erreur classique de sortir ma virilité directement par la braguette, sans ouvrir le bouton du haut De sorte que, debout, trépignant, en criant : « L’alarme à incendie, bordel ! C’est l’alarme à incendie ! On va tous mourir ! », je ne parvenais pas à la réintégrer dans mon pantalon La professeur d’Anglais, impeccablement zen, me regardait imiter le marsupilami par mes sauts frénétiques et la disproportion d'un appendice caudale dont la turgidité refusait de faiblir, et c’est sous cet aspect de satyre ithyphallique dansant la tarentelle et poussant des jurons que je me retrouvai dans la cour…

Puis, ce fut le lycée.
Je tâtai d’un peu d’internat.
Pas désagréable, sinon que le couloir menant aux dortoirs des filles passait devant les logements de fonctions du proviseur et de la CE Il me fallu d’innombrables heures d’étude pour établir la position de chacun des points de grincement sur le parquet de ce que nous appelions le Death Corridor mais je finis par obtenir le plan exact de la traversée idéale, chaque « mine » étant indiquée par une croix rouge Il nous suffisait de procéder lentement, en suivant bien les flèches de mon tracé que nous éclairions avec nos montres Je me souviens encore de la phrase que je prononçai en franchissant pour la première fois la porte interdite, m’adressant à une mignonne petite de seconde un peu atterrée de nous voir surgir : « Qui est-ce qui a le plus de force ? Une frêle enfant qui ne mange pas assez, ou un sosie de Dracula d’un mètre quatre-vingt seize qui a de la cocaïne dans le corps ? » A la fin de l’année nous avions acquis une dextérité suffisante pour rejoindre les délices du gynécée en moins de vingt minutes, et nos équipées nocturnes ne furent pas seulement soupçonnées par les autorités…

Revenu à Paris afin de préparer mon bac, je me pris d’une aversion violente pour l’un de mes condisciples, rabougri, geignard, binocleux, que nous surnommions, je ne me rappelle plus pourquoi, El Gringo Il n’est pas excessif d’intituler mon année de terminale La Passion d’El Gringo

Je commençai par les brimades usuelles et soignai particulièrement le chapitre « humiliations cuisantes devant les filles à la piscine »… Puis des persécutions vraiment alambiquées commencèrent à germer dans mon cerveau… Il le fallait… La vue d’El Gringo, qui ressemblait physiquement à une couille, ou à un rein, et prétendait singer l’attitude rap, m’était intolérable… Je devenais méchant… Vraiment méchant... J’aurais fait pleurer un enfant du Bénin, pourtant déshydraté… Mais El Gringo m’évitait, et j’en fus réduit aux expédients…

Un jour qu’il avait cru bon de venir au lycée en survêtement, je le rattrapai in extremis en haut d’un escalier et baissai d’un coup sec son pantalon, à l’instant où il abordait sur le palier dans ma hâte, j’emmenai son caleçon avec, et c’est mis à l’air qu’El Gringo parut devant la prof d’Espagnol et une pionne, qui discutaient devant les classes et observèrent, sans s’émouvoir beaucoup, l’appendice vermiculaire blanchâtre qu’il mit une seconde de trop (le temps de comprendre ce qui lui arrivait) à dissimuler… Le sobriquet de Pine d’Huître fut ajouté à celui de Gringo mais, curieusement, nous continuâmes à faire un usage quasi-exclusif de ce dernier… Notez qu’un plongeon de catch que j’effectuai sur mon infortuné camarade alors qu’en EPS il s’exerçait à une posture délicate de gym au sol, et qui lui coupa le souffle pendant près de deux minutes en lui conférant un teint bleu, lui valut également d’être appelé le Schtroumpf, sans que, cette fois encore, le surnom d’El Gringo cessât d’être employé…

Je parvins finalement à l’expédier à l’hôpital en plaçant, avec une sarbacane géante composée de cinq bics successifs, une bille de stylo dans son oreille droite.

« C’est, pensais-je, le chant du cygne que ferai-je au retour du Gringo ? Comment surenchérir ? »

Le Gringo revint. Toujours sa tête à claques et sa voix de crécelle, mais le cœur n’y était plus. Jusqu’à ce que ma chère Corinne H. (qui, si elle lit ces lignes, doit savoir qu’elle était en terminale, toute femme d’officier et mère de famille qu’elle soit aujourd'hui, la fille la plus irrépressiblement excitante que j’aie connue de ma vie) me suggérât d’aller voir le véhicule utilisé par El Gringo … Quelle ne fut pas ma stupeur de constater que notre ami se rendait au lycée sur une impardonnable mobylette orange !... Je sanctionnai immédiatement la chose, en subtilisant l’engin, et en le plaçant, allumé, dans les toilettes des filles… Ce me fut une bien grande joie que de voir le Gringo se plaindre qu’on lui avait « lévo » sa « beume » auprès de tous les élèves, qui s’en moquaient, étant trop occupés à se demander ce que c’était que ce bruit affreux et cette fumée noire sortant des toilettes…

El Gringo s’équipa donc d’un antivol… vaine précaution… J’eus tôt fait de lui en confisquer les clés et d’organiser un jeu de piste de type Fort Boyard, censé lui permettre de les retrouver… Quinze messages codés, répartis dans tout le lycée et porteurs d’une énigme permettant de trouver le message suivant… El Gringo abandonna au septième… De toute façon, continuer n'eût servi à rien : le code figurant sur le quinzième et tout dernier message n'avait aucune signification particulière… Il en fut quitte pour s’acheter une pince coupante et je ne me fis pas défaut d’appeler la police pour signaler qu’il y avait, devant notre lycée, un type d’aspect bizarre, en train d’essayer de voler une mobylette orange dont il sectionnait l’antivol avec une pince coupante… La police, hélas, n’intervint pas avant que le Gringo eut filé mais baste ! Tant pis ! Ce n’est pas ici le lieu de stigmatiser l’incurie de notre exécutif !

Mon chef-d’œuvre fut d’obtenir, avec l’aide de mon cher ami Taz, aujourd’hui brillant PDG et toujours excellent fêtard, que des ouvriers occupés à des travaux dans la rue acceptassent de transporter à la grue la mobylette du Gringo sur le toit du lycée… Il fallut arroser grassement toute l’équipe, du chef de chantier à l’apprenti récent, mais nous avions voté un budget no limit à l’opération et n’eûmes certes pas à le regretter !!!... Nous n’avions imaginé que de faire trôner la Gringomobile sur l’établissement… Nos complices, travailleurs consciencieux, dépassèrent nos plus folles espérances et la portèrent si haut, et si loin avant, qu’on ne distinguait plus qu’un vague point orange se détachant des toits… Lorsqu’à cinq heures le Gringo vint me grésiller aux oreilles : « Allez, les gars, où vous z’avez mis ma meule ?... », je lui répondis avec flegme : « Mais je l’ignore, Gringo… La dernière fois que je l’ai vue, elle était sur le toit… »

Il fut très compliqué, très long et très pénible à notre victime d’aller récupérer son bien… Mais je ne me souviens pas d’avoir jamais tant ri…

En vérité, et Amen ! Heureux les potaches s’ils connaissaient leur bonheur ! J’ai eu mon bac avec mention TB et félicitations du jury j’ai fait Sciences Po et il m’arrive de regretter de n’avoir pas redoublé toutes mes classes depuis le CM2, puisque ça me vaudrait d’entrer encore en terminale cette année… ce qui est d'autant plus stupide que je ne suis jamais allé en CM2... On ne rit volontiers qu’au lycée, ou devant le spectacle d’une vieille dame dérapant sur une plaque de verglas et s’étalant dans la rue avec tous ses paquets… dans les deux cas, profitez-en bien !... ça ne dure pas !...

 — Sir Shumule, 6 septembre 2009