Contrairement
à ce que tout le monde croit, ma vie ne se passe pas seulement à
m’habiller, à me gaver de coke et à me faire sucer par des employées de
maison. Il m’arrive d’avoir des activités graves. Par exemple, j’achève à
l’instant la lecture d’un traité d’astrologie karmique, signé Irène
Andrieu*, qui m’a bien donné à penser. J’en ai tiré tout un tas de
réflexions personnelles, qui paraîtront complètement niaises aux
spécialistes, et j’espère en apprendre davantage.
Le karma
est une loi aussi peu sentimentale que celle de l’attraction terrestre.
Par exemple, sa compensation est telle dans l’univers que je crois
devoir le bonheur général de ma vie à mille petites contrariétés. C’est
peut-être comme ça que j’ai échappé à tant de dangers et que je me porte
si bien. Voici la liste de mes petits malheurs.
Quand je
perds au poker en partie privée, je paie rubis sur l’ongle. Quand je
gagne, on me doit. Quand je me porte garant, on ne paie pas : des
Libanais luisants trépignent à mon portail et agacent mes pitbulls…
Quand je
dresse des barnums dans le parc du château, pour un déjeuner en plein
air, quand je fais un jogging, quand je donne une chasse sur nos terres,
quand j’ai un rendez-vous en extérieur, il pleut.
Quand je commande un taxi, on se trompe et on l’envoie à quelqu’un d’autre.
Quand je demande qu’on aille chercher mon roadster chez le garagiste, pour un rendez-vous important, genre spanish butt
et seins énormes, tout le monde est malade ou en congé, et si, par
miracle, il nous reste un domestique, il dit que je ne le lui ai pas
demandé. Si je parviens tout de même à sortir, la rue que j’emprunte est
bloquée par un déménagement, une livraison, des travaux, une
manifestation, un accident. Je passe deux heures dans un concert de
klaxons, et suis grillé à vie avec le butt en question.
Quand il
fait froid, toutes les plaques de verglas sont pour moi, jamais pour les
autres.
Quand il fait chaud, je suis sorti avec mon trois-quarts Boss
en cachemire et une grosse écharpe.
Quand je
m’installe dans le bar élégant d’un grand hôtel pour écrire, mon ordi
n’a plus que 1 % d’autonomie. Quand j’écris à la maison, le disjoncteur
saute ; je crie : personne ne vient. Si je veux finir mon texte à la
plume, tous mes Montblanc sont vides.
Quand je
donne un tuyau boursier à un ami, le cours s’effondre. Quand je place
pour moi, il remonte : l’ami est furieux, et raconte partout que je l’ai
planté exprès.
Quand je
veux être seul, et que j’ai quelque chose d’intéressant à faire,
j’entends assiéger ma porte, hermétiquement fermée chaque matin, et la
crainte de manquer quelque chose (Cindy Crawford, en panne devant chez
moi, venant réclamer des secours, ou Gina Carano qui s’est trompée
d’adresse) me fait lever. J’ouvre. Qui est-ce ? Le plus ennuyeux de
Paris qui « passait par là ».
A moins
d’être seul à une chasse à tir, auquel cas je bats tous les records
imaginables sans personne pour me voir, je suis toujours celui qui tue
le moins, quoique je sois un des meilleurs tireurs de France. Cinquante
sangliers viennent de droite et de gauche jusqu’à mon poste et rentrent
dans le bois, entre moi et les deux voisins à qui je vois faire un feu
d’enfer. Tous les rabatteurs traquent de travers où je suis. Je tue une
belle pièce : les autres en tuent cinq à côté de moi. Jamais un renard,
un faisan, une bécasse. Tout ça passe aussi à mes voisins. Ils ont pitié
de moi, ils changent : ma place devient excellente.
La chasse
commence à sept heures. De peur d’être en retard, je me lève deux heures
en avance : j’ai laissé les phares allumés, ma batterie est à plat – je
crève un pneu ou m’arrange pour terminer dans le fossé.
Après une chasse à courre, un match de polo ou un tournoi de poker, on félicite toujours un autre des choses que j’ai faites.
Papa veut
me voir. Sa secrétaire me donne une mauvaise heure. Il poireaute dans
une brasserie et déjeune seul – il est parti depuis longtemps quand
j’arrive, et me traite de branleur au téléphone.
Je suis
gourmand. Je me sers, comme par distraction, le meilleur morceau. Ma
voisine me le demande de manière à ne pouvoir le refuser.
Grosse
fête. Une bombe thermonucléaire me lance un regard engageant : alors que
je vais la rejoindre, un nase l’invite à danser. Je m’ennuie à mort.
En club
échangiste, l’amie du type qui convoite mon accompagnatrice est une ex
avec qui ça s’est super mal terminé – S’il est avec l’une de ces
sublimes beautés mûres que, grâce aux dieux, le libertinage français
produit encore de temps à autre, elle me traite en blanc-bec – « Allons,
allons, tu ne vas pas me dire que tu bandes pour une vieille peau comme
moi… ».
Je
préviens gentiment notre homme à tout faire que la cousine qui débarque
est ce qu’on fait de plus snob, pète-sec et collet-monté, afin qu’il
n’en prenne pas ombrage. J’apprends un mois plus tard qu’il se l’est
envoyée non-stop dans le hangar pendant tout son séjour. Si, moi, je
m’apprête à culbuter une invitée chez la plus pudibonde de mes tantes,
celle-ci surgit toujours au moment crucial.
Quand j’ai
un vrai coup de foudre pour une femme, elle est lesbienne. Quand je
suis heureux avec une autre, elle ne me considère que comme un étalon
bien monté, drôle et décoratif – quand je suis persuadé de simplement
faire l’amour à une bonne copine après une soirée réussie, elle croit
que je vais lui parler mariage.
En
Limousin, on dit « tape ta miaule ! » pour saluer ce genre de phénomènes
– eh bien ! est-ce à cette miaule que je dois mon existence en tout
point conforme à l’injonction baudelairienne – ordre, beauté, luxe,
calme & volupté – ou à cette existence que je dois cette miaule ?
J’aimerais l’avis de Mme Andrieu sur ce point.
- 8 novembre 2009
*Irène Andrieu, Lecture karmique du thème astral, Ed. du Rocher.