Chronique de mon dimanche
À Mildred R.
Entre autres caractéristiques très personnelles, je me trouve avoir comme ancien camarade de promotion l'être le plus maladroit de Paris.
Louis-Marie
S., garçon parfaitement élevé par ailleurs, n'a pas seulement un rire
de perruche hystérique : il semble fâché avec les objets les plus usuels — je veux dire : une pince à sucre devient, entre ses mains, une arme
de destruction massive ; chaque escalier est pour lui une épreuve et,
généralement, l'occasion d'un traumatisme violent — Il a, par ailleurs,
une façon très particulière de prononcer le son oi : dans sa bouche, "quoi", "toi" et "joie" sonnent "queuâh", "teuâh" et "jeuâh", ce qui rend sa conversation extraordinairement pénible.
C'est donc avec des sentiments divers que j'ai accepté, hier soir à onze heures, d'aller, avec mon copain Fix, passer la nuit chez lui, en prévision du brunch de cet après-midi.
"Tu vas voir que Louis-Marie va nous ruiner le week-end par amitié..."
François-Xavier,
dit Fix, est l'un de mes meilleurs potes, depuis la soirée où, pris de
champagne, j'ai tenté d'escalader la villa parentale d'une demoiselle à
Royan, et que la police nous est tombée dessus alors qu'il me faisait
"la courte". Je revois l'air fulminant du père de ma dulcinée, qui
m'avait interdit d'approcher sa fille, et entends encore les hurlements
de mon Fix, se débattant dans les bras d'un policier énorme : "Lâchez -moi !!! Je vous ferai tous casser !!! Mon père est consuuuul !!!!" — Plus tard, il m'a avoué qu'être jeté en cellule de dégrisement, tel
un sac de clous, par des gens qu'il n'était habitué à voir qu'au
garde-à-vous devant son papa, a été pour lui l'occasion d'une
douloureuse réévaluation du réel — Je sais que ça le travaille encore — Mais enfin, pour la nuit à Neuilly, chez Louis-Marie, il est partant.
Cette
nuit, je rêve : une radieuse jeune fille, toute de fraîcheur et de
charmes graciles, descend en gambadant une rue de mon 16ème ; petit à
petit, des satyres, au dernier degré de la luxure, commencent à la
suivre ; effrayée, elle se met à courir, poursuivie, maintenant, par une
horde de ces satyres, et elle se réfugie dans un arbre. Malheureusement
pour elle, l'arbre est plein de satyres.
J'aimerais
bien connaître la suite, mais Louis-Marie débarque dans ma chambre à
sept heures, se prend les pieds dans mes Church, s'émascule presque
contre un coin de commode, me tire du lit de force pour me contraindre à
aller au golf avec lui, et va en faire à peu près autant à Fix dans la
chambre voisine.
Lorsque je rencontre ce dernier, aussi dazed and confused
que moi, dans le couloir, je lui marmonne : "Tu vas voir le petit-dej',
et le café répandu sur nous..." — Erreur ! Louis-Marie a déjà
renversé la cafetière quand nous arrivons dans la salle à manger — Je
m'empare de trois croissants avant qu'il ne leur fasse subir quelque
chose — mais impossible de les savourer : la marotte de Louis-Marie, ce
matin, est de parler de ses maquettes en bois — en beuâh — sujet
que sa prononciation rend insupportable — Fix et moi essayons d'étouffer
nos fous-rires sous des quintes factices, en ayant bien soin que nos
regards ne se croisent pas — hélas! Louis-Marie conclut sa tirade en
nous parlant d'un illustre modéliste qu'il connaît à Bleuâh
(Blois), et nous explosons — grâce aux dieux, sa jeune épouse arrive à
ce moment précis, et détourne l'attention de notre hôte : il se lève
pour aller l'embrasser, se prend les pieds dans je ne sais quoi,
peut-être dans ses pieds eux-mêmes, s'étale sur le tapis, se relève en
manquant éborgner Fix d'un coup de coude, repart de son rire insensé, et
dit qu'il s'est fait hyper-mal.
Au
golf ce matin : du vent — Du vent furieux, qui ne fait pas seulement
dévier les balles d'à peu près 180°, mais arrache probablement les
golfeurs plus âgés à leurs chaussures — pourtant, j'ai la baraka et réussis un albatros !!! L'affaire me semble entendue, jusqu'à ce qu'une
cousine de Louis nous rejoigne, dont l'attitude, le menton volontaire et
le regard de chasseresse, d'amazone, de vierge-guerrière — sportive,
digne, énergique, très sérieuse, très gentille, très sincère, mais
imperméable à tout humour — bref, correspondant exactement à mon
archétype érotique idéal, me trouble complètement : à partir de cet
instant, je n'envoie plus que des mottes et suis la risée du parcours.
Apéritif
: Fix me dit d'y aller mollo sur les Bloody Mary, me remémorant la fois
où, totalement beurré, j'ai appelé "Josiane", pendant tout un dîner,
une authentique princesse (par alliance, en fait une fille d'industriel
italien) que je trouvais horriblement vulgaire — précaution inutile :
l'extra qui a dosé mon cocktail semble avoir interverti les mesures
respectives de jus de tomate et de tabasco — je cours me gaver de mie de
pain en poussant un long cri primal. Alors que je mâche, une jolie
femme m'aborde en me disant : "J'ai quelque chose à vous demander...",
un peu parti, je réponds : "Mais tout ce que vous voulez, j'ai le cœur
sur la main..." — une amie passe à ce moment-là et dit en riant :
"Méfiez-vous, avec lui, le cœur descend très vite..."
Déjeuner
: canicule. J'ai la cousine-amazone de Louis-Marie à droite, qui me
parle de son volontariat dans les chasseurs-alpins (!!!) — J'ignorais
que ce corps d'armée acceptât les femmes, et, on s'en doute, cette
conversation me tourne les sens — J'espère la griser, afin d'abuser de
son ivresse, mais, lorsque je tente de lui servir du vin, elle déclare
ne jamais toucher à l'alcool. Évidemment. D'autre part, je fais des
efforts désespérés pour ne pas répondre à ma vis-à-vis, une Polonaise
ridicule (ou peut-être s'agit-il d'une mante religieuse en tailleur),
qui en remet tellement dans le snobisme de surcompensation, qu'elle
traite à peu près tout de "plouc" : à la 6587ème fois, je craque, fixe
son nez avec insistance et dit en souriant : "N'est pas plouc qui
veut...", ce qui me vaut un regard de basilic.
Comme
nous avons à table un membre de la famille Nègre (celle du fameux
président d'Universal Music France), et une charmante demoiselle dont le
nom est Fromageot, la conversation roule sur les patronymes difficiles à
porter. J'espère que ça va embêter ma vis-à-vis, qui n'a pas suivi le
début du sujet, mais non : celle-ci s'écrie en battant des mains : "Eh
bien moi, j'ai connu quelqu'un qui avait un nom, mais alors, à se suicider : Fromageot !"
Une légion d'anges survole la table.
Jamais
l'expression "moment de solitude" n'a été mieux illustrée que par la
tête de cette imbécile, lorsqu'elle réalise sa gaffe.
Après
déjeuner, Fix me raconte son aventure : dégoulinant de sueur, il a
voulu s'éponger le front avec sa pochette — Or, suite à une maladresse
de sa part, ladite pochette est tombée pile sur la braguette de son
voisin de gauche — Fix essayait de trouver comment se sortir de ce
mauvais pas, lorsqu'il a vu avec horreur son voisin enfouir
précipitamment la pochette dans sa braguette : le convive avait oublié
de fermer celle-ci, et pris la pochette de Fix pour un pan de chemise :)
Puis, Louis-Marie invite tout le monde à faire une promenade dans le beuâh
du parc, mais j'ai eu ma dose avec le parcours du matin. Je reste à
piller le bar. Les deux jeunes sœurs de Louis, quatorze et dix-sept ans,
belles comme le jour, me proposent de faire un billard avec elles.
J'avoue ne pas savoir jouer au billard. Elles offrent de m'apprendre.
Nous faisons quelques parties, et, ma foi, je ne me sens pas mal entre
ces deux ravissantes créatures — jusqu'à ce que, gag, la maîtresse de
maison entre au moment précis où la plus jeune de ses belles-sœurs me
dit : "Vous tenez mal votre queue. Il faut qu'elle reste droite." — L'anecdote, amplement répétée, commentée, déformée, amuse tout le monde
jusqu'au soir...
19.20 : Retour chez moi, légèrement gâteux. Je m'installe devant mon PC. Je ne suis pas fou des dimanches, en fait.
- Sir Shumule, 5 juillet 2009
- Sir Shumule, 5 juillet 2009